Il faut parler.
Sursaut de lucidité.
Un jour parmi tant d'autre, elle s'est levée un matin après une soirée compliquée en se disant qu'elle parlerait. Elle se souvient de cette journée parce que toute sa journée a été tournée sur le fait qu'elle allait parler. parler. parler. parler. parler. parler. parler. parler.
Parler. Il faut parler.
Elle prendra, comme tous les jours de la semaine, le bus pour aller en cours. Elle croisera de nombreuses personnes. Le conducteur qui lui vendra un billet et les nombreux passagers. Elle murmurera un bonjour au premier puis ira s'asseoir au milieu de tous ces inconnus.
Il faut parler.
Personne ne fait attention à elle, tout comme elle fait en général. Mais elle regarde si une personne lui inspire confiance. Il est tôt, tout le monde est à moitié endormi, écoute de la musique ou est plongé sur un smartphone.
Tout le long du trajet, elle se dira un nombre de fois incalculable qu'il faut parler. Juste parler. Le dire à quelqu'un.
Mais elle n'est rien. Au milieu de toutes ces personnes, elle ne trouera pas le courage. Qui veut entendre cela ? Un inconnu ?
Elle sortira de son bus, se taisant encore, pour filer à ses cours.
Il faut parler.
Des cours. Toute la journée. De nombreuses heures assise au milieu des autres. Ces autres qu'elle connait. Ils ont des noms, elle connait un bout de leurs vies, elle leur parle de tout et rien. Elle regarde les professeurs défiler. Elle les regarde sans les écouter.
Il faut parler.
Ses prof' sont là pour l'écouter non ? Elle est certes majeur mais il doit bien y en avoir un en qui elle a confiance et à qui elle pourrait le dire non ? Juste se lever pendant une pause, s'approcher et dire ces mots qui sont à deux doigts de sortir. Juste le dire pour que tout s'arrête. Elle ne pense que à cela, durant toutes les heures qui passent. Un prof' en particulier, en qui elle a confiance. Elle peut le dire, plusieurs fois il lui aura demandé ce qui n'allait pas car elle semblait vraiment mal. Juste parler. Elle est à deux doigts de le faire alors qu'elle est à côté de lui, elle devrait le dire. Puis elle se retient. Pourquoi est-ce qu'on la croirait ? Et puis, qu'est-ce qu'il s'en fiche au final. Elle est majeure, c'est sa vie et son problème.
Il faut parler.
Elle se reculera encore une fois. Ce n'est pas le moment, pas la bonne personne.
Ce n'est jamais le moment. Et ce n'est jamais la bonne personne.
Elle n'a confiance en aucun de ses camarades. Pas de vrais amis. Elle ne peut pas dire cela à quelqu'un de son âge en qui elle n'a pas confiance et puis, elle ne veut pas que ça se sache dans son lieu d'étude qu'elle apprécie tant.
Elle rentrera en bus à nouveau. Plus d'une heure de trajet pour se taire à nouveau. Elle veut parler, tout son corps hurle que ça ne va pas, qu'il faut l'arrêter. Mais elle ne sait plus comment le faire.
Et puis elle rentrera. Dur de parler alors qu'il est à quelques mètres de là. Elle le regarde dans les yeux et lui dit que non, elle n'a pas eu une bonne journée. Qu'elle est fatiguée et qu'elle aimerait que la vie soit plus simple.
Ridicule, le seul sous entendu qu'elle fera, ce sera à lui. Qu'est-ce qu'il s'en fiche. Il faut parler, mais pas à lui.
Et puis sa mère qui est présente. Il faut parler.
Il faut lui dire lorsqu'elle lui demande comment elle va.
Non ça ne va pas. Non ça ne va pas du tout. Il me tue petit à petit.
Tout va bien. Elle a passé une bonne journée de cours. C'était agréable.
Comment lui dire ? Comment dire cela à sa mère. Elle qui a tout fait pour la rendre heureuse, qui la soutient et la porte pour lui donner le meilleur. Comment dire cela à sa mère qu'elle aime. Bien sur qu'elle l'aurait cru, mais elle ne veut pas détruire sa mère. Non, elle ne peut tout simplement pas lui dire.
Il faut parler. Elle répondra que tout va bien.
Et puis elle croisera des amis. Des amis qui l'auraient crus. Des amis qui la croient actuellement. Mais elle a peur. Peur de ne pas être crue. Peur qu'on le croie lui. Et puis, elle ne veut pas qu'on la regarde autrement. Elle ne veut pas être vue comme la petite chose fragile qui n'a pas su se défendre. Elle ne veut pas de la pitié des autres.
Il faut parler.
Et le soir. ça recommencera.
Elle n'aura pas parler.