La peur. Juste la peur.
Elle a peur. De tout et de rien, à tel point que même elle se rend compte que c’est ridicule.
Seulement, lorsqu’on lui dit de parler de ce qui l’inquiète, alors c’est le silence total. Elle a peur, est-ce que cette réponse ne suffit pas ? Dire qu’elle a peur devrait suffire.
Mais non, il faut expliquer, dire. Parce que les gens veulent comprendre, probablement pour l’aider.
Mais elle ne peut pas. Comment parler de ce qui lui fait tellement peur ? Elle répond alors simplement qu’elle a peur de sortir de chez elle, par exemple. Et cette réponse semble être celle qu’on attend d’elle.
Pourtant, elle a envie de hurler sur les gens, leur dire que les mots ne suffisent pas, ils sont inutiles pour expliquer ce qui lui fait peur. Qu’importe ce qu’elle dit, les mots ne seront jamais les bons car ceux qui expriment ce qu’elle a ressenti et ressent encore n’existent pas.
A défaut de ne pas savoir quoi dire pour mettre des mots sur ce qu’elle ressent, elle se borne à dire qu’elle a peur. Très peur.
Comment expliquer que sortir lui fait peur. Non pas juste peur, mais sortir la panique complètement. Elle n’est d’ailleurs même pas capable d’expliquer pourquoi, puisqu’elle sait rationnellement qu’elle ne risque rien. Mais voilà, son cerveau n’a pas réussi à éteindre le mode « survie » alors sortir est source d’angoisse. Sortir, parler, se faire toucher, se sentir bloquée, … tout ce qu’elle a déjà vécu dans un autre contexte l’angoisse. Elle a peur.
Mais ça n’est pas faux d’avoir essayé de parler. Elle a dit qu’elle avait peur, tout comme elle a dit qu’elle voulait que ça s’arrête. Tous ces mots, elle les a déjà dits, répété encore et encore pour qu’Il la comprenne et l’écoute.
Seulement Il ne l’a jamais écouté.
Est-ce que c’est elle qui ne sait pas s’exprimer ? C’est maintenant ce qu’elle croit, qu’elle est devenue handicapée des mots. Ou alors, personne ne veut vraiment l’entendre lorsqu’elle dit que ça ne va pas. Faut-il forcément parler pour exprimer ce qu’on ressent ?
Elle se sent maintenant responsable de ne pas se faire comprendre, de ne pas trouver les mots. Car sans cela, on ne peut pas l’aider, mais c’est impossible. Les mots n’existent pas. Quel mot dire pour faire comprendre qu’elle a cru mourir, mais qu’avant cela, elle s’en est rendue compte. De ce qui se passait. La douleur, la peur, la solitude, l’abandon. Quel mot unique veut dire tout cela en même temps ? Et puis, lorsque ce moment horrible s’est terminé, elle se retrouve seule, elle a mal, il y a du sang, elle regrette de ne pas être morte et elle se souvient trop bien de ce qui s’est passé et de ce qu’elle a ressenti. Est-ce qu’un mot existe pour dire aux gens ce qu’elle a vécu ? Non, elle ne pense pas. Soit on l’a vécu et ressenti, soit on ne peut pas se l’imaginer. Tant mieux pour ces personnes qui ne l’ont pas vécu, elle est heureuse pour eux, mais elle ne peut pas alors dire ce qu’elle a vécu, ce qu’elle a ressenti. Car quoi qu’elle dise, ce ne sera toujours qu’une pale copie de ce qui s’est réellement passé.
Alors elle se borne à dire qu’elle a peur.
Et puis même si elle parle, même si les mots existent, est-ce qu’on va la comprendre. Car tout le monde trouve normal qu’elle ait peur en repensant à ces souvenirs, par contre, personne n’arrive à saisir ses angoisses lorsqu’elle dit qu’elle a peur de sortir. Peur d’aller à un rendez-vous. Peur d’avoir peur…
Probablement car ces peurs là semblent ridicules. Ces peurs là sont ridicules. Mais elle n’y peut rien, elle a peur. Le pire, c’est qu’elle ne sait pas réellement de quoi elle a peur. Lorsqu’on le lui demande, elle dit juste qu’elle a peur. Elle n’y peut rien, tout son corps et sa tête est en mode « survie » comme si tout cela continuait encore et encore, alors dans ces conditions, est-ce qu’il faut réellement une explication du pourquoi on a peur ?
Elle a peur. Elle ne peut pas l’expliquer, la peur est là. Ridicule puisqu’elle sait que personne ne va l’agresser si elle va à un rendez-vous, un souper avec des amis, ou n’importe où d’ailleurs. Elle sait bien que lorsqu’elle Le croise elle ne craint rien. Mais elle n’est pas capable de gérer cela, elle a juste peur.
Probablement car ce sont des situations qui lui font remonter des souvenirs. Ou peut-être qu’elle a réellement peur, dans sa tête, que ça puisse recommencer, par n’importe qui, n’importe où. Elle ne sait pas. Juste la peur.
Et puis, pas simple de parler de toutes ces angoisses à ses proches, à la professionnelle qui l’accompagne, à ses amis… Parce que parler de ses peurs, c’est donner sa confiance. Si elle se met à raconter ce qui lui fait réellement peur, alors on pourra l’utiliser contre elle pour la blesser à nouveau. C’est arrivé tellement souvent qu’elle est persuadée que c’est ce qu’on fera. La blesser. Elle ne veut pas donner le bâton qui pourrait la battre. Elle l’a fait une fois sans réellement s’en rendre compte, ça ne se reproduira plus. Quoi que, lorsqu’elle est fatiguée et abattue, elle parle. Souvent elle regrette. Et la peur que ces gens qu’elle aime puissent lui faire du mal se rajoute à toutes ses autres peurs.
Alors par moment, elle se dit que la meilleure solution est de couper les ponts. Ne plus parler, ne plus en parler, taire tout ce qui a pu se passer. Redevenir une personne normale. Et petit à petit prendre ses distances. Ça semble être l’unique solution pour ne pas souffrir. Car elle ne voit que deux solutions à ces relations étranges. La première, c’est que ces personnes qui s’inquiètent pour elle maintenant vont se lasser et finir par l’abandonner, la laisser se débrouiller seule. L’abandon, elle ne veut plus le revivre, c’est le pire. La seconde solution, elle imagine que ces gens vont se retourner contre elle avec ce qu’ils savent.
Lorsqu’on imagine que ces deux points de vue, alors c’est compliqué de réellement faire confiance. Le pire, c’est qu’elle sait que les gens avec qui elle parle ne feront pas cela. Mais dans le doute…
La peur est partout et elle ne sait plus comment faire pour s’en débarrasser.
Elle a peur. Très peur.